O Mà ! Creative gourmandise(s)
Ils ont fait du brocciu une confiture, déclinent leurs cookies au figatellu ou à la boutargue et transforment les canistrelli en pâte à tartiner. Anne Francesconi et Jean-Michel Querci sont deux esprits libres à la créativité exacerbée. Rencontre avec un duo corso-alsacien amoureux et passionné, bien décidé à faire briller les saveurs corses à travers des produits originaux et gourmands.
Pouvez-vous vous présenter ?
Jean Michel Querci : Je suis corse d’origine, maître restaurateur, chef de deux restaurants, la Rascasse et la brasserie Le 137 à Saint Florent. Et depuis quelques années, à la tête de la marque O Mà avec ma femme Anne.
Anne Francesconi : Je suis moitié alsacienne, moitié corse. Je m’occupe du développement de la marque avec lui, et l’aide aussi avec les 2 restaurants.
La Corse c’est…
Jean-Michel : C’est un rapport fusionnel, elle est partout. Je crois que si je n’avais pas été corse j’aurais été malheureux. C’est mon pays, ma patrie. Je suis malade à chaque fois que je pars, c’est un signe !
Anne : Je suis double, moitié alsacienne, moitié corse. J’aime les deux et je reste liée à ma patrie, où le rapport à la gastronomie est également très fort. Je suis fière de ma double culture et souhaite la transmettre à mes enfants. Je crois qu’on est encore plus attachés à ses racines lorsque l’on s’ouvre à autre chose.
Quel est votre parcours ?
Jean-Michel : Je suis un autodidacte. J’ai grandi dans une cuisine en observant ma grand-mère et ma mère cuisiner. Je lisais beaucoup les magazines que ma mère achetait, je voyais ce que les grands chefs faisaient sur le continent, et dans le monde entier. J’ai commencé la restauration très jeune, et j’ai ouvert mon premier restaurant à 22 ans, à Saint Florent. A l’époque, je ne savais pas vraiment où j’allais. Je voulais faire du bon. Et apporter une touche de créativité aussi. Quand j’ai proposé il y a 20 ans les langoustines à la panzetta avec un flan au brocciu, on m’a pris un illuminé. A cette époque, la cuisine corse était décrite comme pauvre, et je voulais démentir cette idée.
D’où est venue l’idée de créer une marque de produits gastronomiques corses ?
Jean-Michel : Je crois que l’idée est d’abord venue de nos clients, qui adoraient les produits servis au restaurant et disaient toujours « ah si on pouvait aussi bien manger à la maison ». En 2010, je dirigeais le restaurant gastronomique la Rascasse et ma femme avait un magasin de fleurs sur Bastia. La concurrence était rude pour les petits commerces.
Nous avons transformé ensemble le magasin en épicerie fine.
Un sacré boulot, d’autant qu’Anne était très enceinte à l’époque. Nous avons tout refait à neuf pour ouvrir en décembre. Nous proposions du vin, du champagne, des produits d’épicerie fine, des fleurs. Ca a très bien marché. Nous avions même créé une marque, 137, inspirée des produits servis au restaurant. En avril 2011, 6 mois après la création de l’épicerie, ma maman est décédée. Je n’avais plus le cœur à ça. Nous avons fermé l’épicerie en août et je n’ai pas rouvert. Anne est venue m’aider au restaurant, j’avais besoin qu’elle soit là à mes côtés.
3 lettres qui relancent la machine
Le deuxième hiver, mon père m’a demandé de préparer ses cadeaux pour son CE. Anne m’a poussé à relancer la marque 137. J’ai accepté, à condition de changer le nom. J’ai écrit 3 lettres à main levée sur un papier et le logo était né. C’est un logo qui vient du cœur, comme ce qu’on fait.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je m’inspire de tout ce qui est autour de moi. Ce n’est pas parce qu’on est corse qu’on doit se limiter à faire du 100% corse. J’essaye de sublimer les produits qu’on peut avoir. La confiture banane-rhum, par exemple, c’est une idée travaillée avec notre apprenti Valentin, qui est moitié martiniquais. C’est un vrai travail d’équipe. Nous avons aussi créé de nouveaux biscuits : « i babbetti c’est trop génial », dont le nom reprend 2 expressions de nos enfants. Il y a aussi un lien affectif dans nos créations, c’est important.
D’où viennent les produits que vous utilisez ?
Pour la plupart, ce sont les artisans avec qui je travaillais déjà au restaurant. Les clémentines viennent de ma famille, les noisettes de Cervione. Nous fabriquons nos oliose avec l’huile d’olive de Sandrine Marfisi et devrions avoir du beurre corse prochainement. Nous essayons autant que possible de respecter les produits de saison et de mettre en avant les producteurs. Tout est fait maison. Nous travaillons uniquement avec des produits naturels, sans conservateurs ou additifs.
Où la marque est-elle distribuée sur l’île ?
Les épiceries fines en grande majorité. On ne veut pas être présents dans les grandes surfaces pour l’instant. On a des quotas à respecter, on essaye de ne pas créer de concurrence entre nos distributeurs. Nous n’avons personne à Calvi pour le moment. Le premier qui appelle sera le premier servi, c’est comme ça.
Comment vos produits sont-ils perçus en dehors de Corse ?
Ça dépend des produits. Quand on parle de la confiture au brocciu, les gens ne connaissent pas forcement et font la grimace lorsqu’on explique que c’est une confiture au « fromage » ! Mais ça évolue. François Régis Gaudry est venu cet été et a adoré la confiture au brocciu. Il en a tout de suite parlé dans la première émission de la rentrée sur France Inter en la faisant goûter en direct. Ça nous a donné un gros coup de pouce, les belles maisons ont commencé à s’intéresser à nous, on a eu plus de commandes internet.
Etes-vous déjà représentés sur le continent ?
Nous sommes présents à Nantes, Paris et nous avons des demandes pour Aix et Bordeaux. On garde une partie de notre production pour le continent. C’est très particulier car les grandes épiceries veulent du 100% corse, même si on leur explique que c’est très difficile. Le sucre et la farine ne sont pas corses par exemple.
Et dans d’autres pays ?
On nous a proposé de nous développer à l’étranger. Mais on veut d’abord bien se positionner chez nous et sur le continent, régler certains petits détails avant de s’étendre. Là, nous sommes en train de changer de labo car nous travaillons dans les cuisines du restaurant. Nous allons avoir un vrai local dédié, avec tout ce qu’il faut !
Comment communiquez-vous ?
Anne : Quand on a commencé O Mà nous avions juste une page Facebook. Il a fallu apprendre à se servir des réseaux sociaux en même temps que la marque grandissait.Je lui ai un jour offert une box gastronomique. Et on a eu l’idée de développer notre propre box pour se faire connaître, en collaborant avec d’autres partenaires pour l’huile d’olive, le miel. C’était la première box corse, que nous avons fait connaître par Facebook. Après ça, on a essayé le Salon du chocolat, pour voir si nous étions crédibles. C’est à ce moment que JM a créé la confiture au brocciu et que tout a vraiment démarré, en octobre 2013.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
L’organisation. Le plus dur c’est de pouvoir répondre à la demande sans faire trop attendre. On s’occupe de tout nous-même, parfois, il faut expliquer au client qu’il y a 10 jours d’attente pour un produit, c’est comme ça. Nous avons tout appris par nous-même, en nous servant de nos erreurs pour évoluer. A l’origine, c’est un plaisir avant tout. Quand ça a commencé à marcher, il a fallu sauter dans le train en marche. Nous voulons toujours améliorer nos produits, faire mieux. Notre marque est constamment en mouvement.
Votre plus grande réussite ?
Jean-Michel : Pour moi, ma plus grande réussite serait de montrer qu’en Corse nous sommes capables de faire des choses différentes, qui sortent de l’ordinaire. Sortir des clichés sur les corses qui passent leur temps à faire la sieste…même si j’aime bien faire la sieste aussi ! Et la confiture au brocciu aussi, c’est une fierté, c’est mon bébé, c’est moi qui l’ai inventé. C’est notre produit phare. Je l’ai décliné en plusieurs variantes, avec du miel, de la châtaigne…Et aussi un brocciu praliné qui va bientôt sortir.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Anne : Nous souhaiter que ça continue ! Quand il a créé la confiture au brocciu, je lui ai dit qu’un jour je l’emmènerai au Japon. Finalement on a eu des demandes de la Chine ! Si notre marque dépasse les frontières c’est déjà énorme pour nous, surtout en partant d’une fabrication maison.
Jean-Michel : Je souhaite avoir un beau labo et que ça marche. Que nos enfants soient fiers quand ils parlent des gâteaux de leur papa. Et qu’on ne change pas, qu’on reste comme ça, tranquille, cool.
Quelles sont les nouveautés pour les fêtes ?
Pour Noël, nous avons créé des chutneys figues & oignons, des confitures éphémères pommes de Bastelicca & framboise, poire, passion & pavot, ainsi que le ketchup à l’oignon de Sisco. Nous avons aussi des cookies figatellu & roquefort et brocciu passu & saucisses corses. Et nos foies gras, préparés à l’ancienne au muscat de Barbaggio et au salinu.
Vos conseils pour les futurs entrepreneurs ?
Ne lâchez rien car ce n’est pas facile ici. Pour nous en Corse, tout prend plus de temps, mais il ne faut pas lâcher. Il faut beaucoup travailler, même si c’est parfois difficile car nous dépendons aussi de l’extérieur. L’insularité est compliquée. Les coûts, les questions de fournisseurs…Il faut être capable d’anticiper. Et toujours avoir un plan de secours.Et ne pas se laisser effrayer par la concurrence. Comme disait Coco Chanel : « Continuez à prendre mes idées j’en aurai d’autres ».
En savoir plus
Site internet : O Mà gourmandises
Page Facebook : O Mà gourmandises
Page Instagram : O Mà
Interview réalisée par Chloé Nury