la Corse qui bouge et entreprend

Mademoiselle D. Vigneronne Corse

A l’image de la charcuterie ou du fromage, le vin corse fait désormais partie intégrante de l’identité insulaire. De nombreuses personnalités ont permis de mettre en lumière cette richesse de l’île qui s’exporte dans le monde entier. Aujourd’hui, une nouvelle génération de vignerons s’emploie à développer son image en Corse et au-delà. Maria Francesca Devichi est une jeune vigneronne à Barbaggio – Patrimonio. Elle se passionne pour ses terres, la mode, et les médias digitaux. Entre deux dégustations au 1er festival de la Mode et du Design à Bastia, elle nous parle de l’histoire de son vignoble en Haute Corse et de ses ambitions. Rencontre avec une vigneronne pleine de projets sur Pari(s) sur la Corse.

Marie FrançoisePeux-tu te présenter ? 
Marie Françoise Devichi, 32 ans, vigneronne à Barbaggio, curieuse, épicurienne et passionnée. Hyperactive et d’un naturel joyeux. Une amie m’a présentée un jour comme une vigneronne fashion et rock n’roll, ça m’a bien plu.

La Corse c’est…
Elle est toujours là, elle fait partie de moi, c’est mes racines, mon caractère. L’insularité et les traditions ont forgé qui je suis. C’est un lien invisible, mais omniprésent. J’aime aller voir ailleurs, je ne m’en cache pas, mais j’aime aussi redécouvrir mon île, car malgré les années on ne la connaît jamais à sa juste valeur.  Mon métier, c’est un peu de mettre en lumière une infime partie de ce patrimoine, c’est un grand privilège dont je suis fière.

Quelle est l’histoire de ton vignoble ? 
Je prends la suite d’une longue lignée de vignerons. Les premières traces écrites qu’on a retrouvées remontent à 1734, je suis donc la 6e génération et la première femme de ma famille. C’est une lourde charge mais une fierté qui me pousse à me surpasser !

vignoble

famille vignoble

Mon grand-père proposait des dégustations gratuites au caveau
Le fondateur est mon arrière arrière grand-père. Un propriétaire terrien et agriculteur qui cultivait le blé, le cédrat, les oliviers, la châtaigne et la vigne entre Barbaggio, Poggio d’Oletta et Bastia. Mon grand-père, brillant étudiant et correspondant de presse pour Corse Matin a dû abandonner ses études pour reprendre le domaine au décès de son père. C’était un précurseur, il travaillait déjà sur les mises en bouteilles, proposait des dégustations gratuites au caveau. C’était un visionnaire.

Mon destin m’a rattrapé 
Mon père a suivi le chemin et n’a vécu que pour ses vignes dès son plus jeune âge. C’est un vrai terrien, il a travaillé dur, sacrifié beaucoup avec ma mère, pour que j’ai un avenir meilleur, loin de l’agriculture et au final mon destin m’a rattrapé et je ne le regrette absolument pas ! A l’heure actuelle, je me concentre sur la vigne. J’ai réussi à reconstituer 75 % du domaine initial mais j’aimerais bien un jour réhabiliter le reste du patrimoine agricole que mes ancêtres m’ont légué.

vignoble 2

raisinDepuis quand y travailles-tu ? 
J’ai commencé à participer à la vie de l’exploitation en 2002 pour aider mon père suite au décès de ma maman. Ça n’a pas été facile, mais cela a forgé mon caractère et mes convictions. C’est durant les vendanges 2003 que j’ai vraiment réalisé que c’était ce que je voulais faire. J’ai appris avec mon père et grâce aux ouvriers agricoles, aux anciens et à des formations. Il existe plusieurs alternatives pour apprendre le métier. Passer son diplôme dans le cadre d’un cursus universitaire, comme à l’université de Suze la Rousse par exemple, ou suivre une formation d’œnologue par correspondance au CNPR (l’équivalent du CNED agricole) basé à Bordeaux. J’ai choisi la seconde option que j’ai trouvée extrêmement enrichissante. J’y ai rencontré des gens aux profils variés, provenant de tous types et de toutes tailles d’exploitations.

Pour la pratique, il n’y a rien de mieux que le terrain
Au cours d’une carrière, tu fais environ 40 vendanges, une par an, donc tu n’as pas non plus une grande marge d’erreur. Il faut savoir prendre en compte l’ensemble des facteurs qui ont influés et se ressentent dans ton vin. Il ne faut pas oublier que le vin est un produit vivant, qui continue à évoluer une fois en bouteille.

bouteilles vins

Depuis le 1er janvier 2012, je suis officiellement la chef d’exploitation. J’ai un chef de culture à la vigne, il est exceptionnel et me permet de me concentrer sur l’administratif, la gestion du personnel, les vinifications et la commercialisation des produits.

vignoble anglaisJe me suis enrichie d’expériences à l’étranger
Je suis partie 2 ans et demi à l’étranger. J’ai voyagé en Angleterre et en Californie, même si ce choix n’était pas motivé par des raisons professionnelles à la base ! Cela m’a permis de découvrir un nouveau monde. La liberté qui règne là-bas a permis d’expérimenter, de développer de nouvelles approches et des techniques parfois très modernes. Très honnêtement, je ne me souviens pas y avoir gouté un vin mauvais.

Quels changements as-tu observés sur le terrain depuis tes débuts ?
Il y a eu une importante évolution des techniques de production et de la manière de travailler. Avant, on était agriculteur, on concentrait tout son temps à sa terre. Désormais, on est chef d’entreprise, il faut maîtriser tous les aspects du business, de la vinification à la communication, tout en gardant cette dimension proche de la terre.

On recherche du « plaisir immédiat « 
La consommation a changé aussi. Aujourd’hui, on recherche le « plaisir » immédiat. Lorsque j’ai repris l’exploitation, je me rappelle avoir retrouvé de vieux dossiers et des devis faits par mon père. Les chiffres étaient très différents de ceux de notre époque ! Les gens achetaient le vin par caisses et stockaient beaucoup plus que maintenant.

soirée vins de corse

vignes2Y a-t-il de la place pour de nouveaux vignerons ?
J’espère oui ! Cela demande bien entendu du courage et du temps au niveau local. Mais à l’échelle mondiale, il y a un marché immense à conquérir et il existe beaucoup d’aides sur le terrain. D’ailleurs, il faut qu’il y ait des gens qui s’installent avec des idées nouvelles, des projets…Ca nourrit les esprits et permet d’évoluer en permanence ! Il ne faut pas rester en vase clos. Il a fallu quelques esprits avant gardistes pour réintroduire les vieux cépages par exemple, et maintenant, de plus en plus de vignerons s’y essayent.

Tes projets pour la suite ?
J’essaye de perfectionner ma technique et de développer mon image, je vais d’ailleurs lancer une nouvelle gamme très prochainement, avec des vins qui me ressemblent.

bouteille vin corseJ’essaie d’insuffler une dynamique plus moderne axée sur le digital
Je suis très présente sur les réseaux sociaux et essaye d’insuffler une dynamique un peu moderne et très axée sur le digital. Côté cave, je m’emploie aussi à remettre au goût du jour de boissons traditionnelles, comme le vin de myrte et le vin d’orange. Je travaille avec plusieurs bars qui mettent mes produits à l’honneur à travers des cocktails.

Parle-nous de la maison des vins qui doit prochainement ouvrir à Patrimonio
Le projet est en cours et devrait enfin ouvrir au public pour 2016. Ce sera le centre névralgique de l’appellation Patrimonio, le lieu sera organisé comme un mini-village dédié aux vins, avec un espace dégustation, un musée du vin, un pôle informatif, etc. Le tout accueillera régulièrement des événements et manifestations mettant en avant l’appellation et ses vignerons. Un véritable parcours informatif et sensoriel pour le grand public, et une occasion pour nous de mettre en avant les vins de notre région de manière unique sur l’île.

maison des vinsEn savoir plus
Interview réalisée par Chloé Nury
Domaine Devichi
lieu-dit Fontana
20253 Barbaggio
Page Facebook : Mlle D
Twitter : @MlleDevichi
Instragram : Mlle D
Crédit photos : Maëva Benedettini

« Je veux continuer à faire des produits que j’aime, sans suivre les modes ou les marchés. Aujourd’hui c’est un peu triste de voir les techniciens prendre le dessus et dicter cette homogénéisation du goût. On ne sait plus dire « ça ne me plaît pas » mais seulement, « ça n’est pas bon » ! Chacun doit savoir rester à sa place et surtout rester humble. MF Devichi »…Lire la suite sur le blog Very Wine Trip.