Imusic-school : start-up corse
Paul Miniconi est l’un des pionniers des start-uppers nustrali. Très présent dans l’univers rock & folk insulaire, grand Prix du Livre corse 2015 pour ses traductions de poèmes de Lovecraft, Paul Miniconi ne manque pas de talent. Et pas uniquement artistique. Car ce dandy cool est aussi un entrepreneur passionné. Au début des années 2000, il a créé avec deux amis Imusic-school qui s’est peu à peu hissé au rang de n° 1 européenne des écoles de musique en ligne. Une belle histoire de start-up made in Corsica où se croisent passion, compétence et audace ! Interview réalisée dans le cadre du parcours custrui de la « Fondation de l’Université« .
Quelle est ta formation de départ ?
Je suis un pur produit de l’université de Corse. Quand j’y suis arrivé, il y a… 24 ans, la fac était ouverte depuis à peine 10 ans. C’était encore tout petit. En fac de sciences on était tout juste 300. Moi, j’ai commencé en biologie puis j’ai bifurqué en chimie, et j’ai complété avec un DESS d’informatiques pour acquérir de nouvelles compétences. Je n’avais pas envie de continuer en thèse, et comme à l’époque Il y avait une pénurie d’informaticiens, on trouvait facilement de l’emploi dans le secteur. Je me suis donc retrouvé assez vite ingénieur réseau au CROUS.
On dirait que tu n’as pas franchement persévéré dans cette carrière d’ingénieur salarié ?
J’avoue que je me suis lassé assez vite car ce n’était pas ma passion première, et en effet, j’ai abandonné assez vite. Moi, j’étais monté à Corte pour les études bien sûr, mais aussi pour la musique, pour rencontrer des chanteurs. Ça chantait vraiment beaucoup à l’époque, même dans les couloirs de la fac ! Bref, avec des amis, on avait monté le groupe I Cantelli, ça me plaisait beaucoup, et j’ai décidé de devenir intermittent du spectacle. On jouait beaucoup, concert, cabarets… je complétais en bossant aussi pour le cinéma, comme décorateur/régisseur. J’ai par exemple construit près de 300 mètres de voies ferrées sur le vieux port de Bastia pour le film de Bela Tarr, l’Homme de l’Ombre. Ça a l’air un peu dingue, mais il fallait régler des problèmes techniques face auxquels ma formation scientifique généraliste était d’un grand secours
Tu n’as pas non plus poursuivi sur cette voie…
C’était une belle vie, mais c’est un régime social un peu compliqué intermittent du spectacle. Ça s’essoufflait un peu, du coup on a envisagé la musique autrement, d’une façon moins artiste et plus entrepreneuriale. L’université avait créé un Institut de créativité des entreprises, ça nous a aidés à monter notre premier projet : un studio d’enregistrement, à Corte, en dessous de l’Oriente. Plus tardivement, ce studio a amené progressivement l’idée d’Imusic-school : on a eu l’idée de se servir du studio d’enregistrement pour donner des cours de musique filmés sur internet. On sait que le plus gros frein pour ceux qui veulent apprendre un instrument, c’est le manque de temps pour aller chez les enseignants. On s’est dit qu’on pouvait régler ce problème, qu’on pouvait donner accès aux cours de musique n’importe où, n’importe quand !
Comment avez-vous transformé l’idée en entreprise ?
Une bonne idée, c’est un point de départ, le plus important c’est de savoir la développer ! Nous en l’occurrence, on avait besoin de plein de choses, à commencer par un programme pédagogique à construire ! Il nous fallait des compétences croisées liées à l’éducation, la musique, la consommation sur internet… Notre objectif, c’était d’être une école de musique aussi rigoureuse et compétente qu’un conservatoire, mais avec des cours ludiques et cools !
Quelle stratégie avez-vous adopté ?
On n’a rien inventé. On a fait beaucoup de benchmark, on s’est beaucoup documenté sur le e-learning… on savait que la personne qui paierait son abonnement devait en avoir pour son argent. Alors, on s’est fixé une méthode : faire apprendre avec les meilleurs ! A l’époque, on se disait qu’on aurait rêvé d’apprendre à jouer au foot avec Zidane. Et bien, l’idée ça a été de demander à des musiciens très connus et reconnus d’être les profs d’Imusic. De grands professionnels, qui au quotidien sont trop occupés pour donner des cours, mais qui sont contents de le faire ponctuellement, pour transmettre et développer du lien avec leurs fans. On en a eu plein des commes ça, Kezia Johnes, Maxime Leforestier, André Manoukian…
Concrètement, comment donne-t-on des cours de musique à distance ?
Il faut prendre en compte une dimension importante : la vidéo ! Car pour que le cours à distance fonctionne, il faut que ce soit un bon produit audiovisuel. Et comme il fallait filmer, on s’est donc transformés en studio télé aussi ! On ne faisait pas de direct, mais de la post-production. On réfléchissait à des effets, à l’incrustation de tablatures ou de dessins. Heureusement, on était complémentaire avec Roland Pepe, vrai informaticien, Paul Cesari, musicien-prof de et moi, qui était un peu touche à tout. Au bout de 3 mois, on a pu mettre notre premier cours en ligne : on avait choisi le jazz manouche, qui symbolise une certaine idée de la musique bohème, l’esprit Montmartre, et ça nous a permis d’emblée de nous ouvrir un marché européen. Notre première trentaine d’abonnés a tout de suite été cosmopolite. Après la guitare, on s’est attaqué au piano. Il a fallu faire beaucoup de cours, et de plusieurs niveaux – débutants, intermédiaires, confirmés… ajouter des master classes…
On a l’impression que tout ça s’est fait facilement…
Pas du tout, on s’est hélas souvent ramassés… On a fait plein d’erreurs… on a eu plein d’accidents industriels : des tournages à refaire 10 fois à cause d’une lumière mal réglée etc… Des trucs bêtes qui te prennent beaucoup de temps, et qui t’empêchent de développer d’autres trucs. On a même eu des coups de bols qui se sont retournés contre nous. Un jour, un des musiciens qu’on avait enregistré comme prof parle de nous au JT de 13h sur TF1. Ça aurait pu être une pub formidable, sauf que comme il y a eu beaucoup beaucoup de connexions d’un coup sur le site, ça a fait exploser notre serveur, et ça fait une super mauvaise pub pour tous les gens qui se sont retrouvés face à un bug…
Il faut vite trouver des investisseurs.
Pendant 1 an et demi, on a travaillé à trois, mais il fallait faire des progrès, grandir, s’entourer. Notamment pour affronter le côté financier, car le propre d’une start-up c’est de ne pas être rentable. Tous les mois, on brûle beaucoup de cash pour se développer, se faire connaître, référencer, et comme on engrange pas un chiffre d’affaire suffisant, il faut trouver des investisseurs. Il faut y aller tout de suite, mais dès qu’on a stabilisé un modèle économique, c’est important.
Pour vous, ça s’est passé quand ?
Quand on a eu 50 abonnés réguliers par mois, on a commencé à lever de l’argent. D’abord du love money (l’argent des 3 C – les cousins, les copains, ou les cinglés !) puis on est allés voir des capital investisseurs. C’est un exercice très particulier avec pas mal de ficelles à connaître…quand la société a eu 2 ans, on a réussi à lever 800K€ à Natixis. Ça peut être intimidant. C’était dans les bâtiments de l’ancienne ambassade US, devant un jury de 30 personnes…. Ils nous ont suivis, mais ils nous ont mis un petit coup de pression en essayant de nous délocaliser, en nous disant qu’une adresse à Paris, sur les champs Elysées, changerait tout. On a refusé. Ils ont tiqué car ils n’ont pas trop l’habitude qu’on leur dise non, mais ils ont intérêt à ce que les gens sur qui ils misent se sentent bien.
C’est un parcours compris et connu en Corse ?
A l’époque, je pense qu’il y avait juste 2 start-ups en Corse, nous et Webzine maker qui a ensuite créé le Campusplex. Mais notre parcours est très représentatif des start-ups. Tu te fixes des objectifs, tu les atteins, tu recapitalises la société. Aujourd’hui, on est la première école de musique d’Europe. 82500 personnes ont payé un abonnement. On a plusieurs millions d’utilisateurs uniques. Mais on a cramé énormément de cash, et c’est juste maintenant, au bout de 8 ans, qu’on commence à être rentable. On a failli déposer le bilan 2 fois. Il y a deux ans, on devait monter à l’international, mais finalement on a réalisé que nos moyens financiers et notre dernière levée de fonds ne nous permettraient pas de faire face aux besoins marketing, donc a eu du faire machine arrière. On était monté à 21 salariés, on a dû redescendre à 12…
Un conseil pour les étudiants ?
L’Innovation frappe aux portes de l’université ! On a besoin d’idées et de gens qui les développent. On doit créer des talents en Corse, développer de l’emploi qualifié, entrepreneurial. Je suis là pour témoigner que c’est possible. Le numérique en Corse, c’est essentiel. On a loupé deux révolutions industrielles, celle-là, on n’a pas le droit de passer à côté. On peut avoir d’ici un marché à l’échelle du monde. On peut réussir ici même si les décideurs sont ailleurs et s’il faut parfois se déplacer. Mais tout le monde se déplace, de partout. Il ne faut pas hésiter à essayer des trucs, prendre des risques ! D’un échec on peut rebondir sur un vrai gros concept. Les investisseurs y sont sensibles. Quelqu’un qui a essayé un modèle économique, même s’il s’est cassé les dents, ça donne de l’expérience. Et puis, ici, les choses commencent à s’organiser. La Corsican Tech structure ça, et a déjà répertorié près de 28 start ups en Corse… Il y a aussi une prise de conscience au niveau des investisseurs locaux qui depuis peu commencent à envisager le développement d’un vrai fond d’amorçage.
Et toi aujourd’hui ?
Moi, ce qui me plaît c’est d’entreprendre. Maintenant qu’Imusic est rentable, j’ai envie de plein d’autres choses. Il y a tellement à faire ! Je suis désormais actionnaire-dirigeant dans 4 autres start-ups. Ça me plaît de convaincre les gens d’aller chercher des fonds, de développer des idées et créer des emplois qualifiés dans notre région.
En savoir plus
Site internet : www.imusic-school.com
Page Facebook : Imusic School