la Corse qui bouge et entreprend

Edmond Simeoni : « Militer, c’est une vie de tourment »

Figure du nationalisme corse, Edmond Simeoni n’a rien perdu de sa verve. A 83 ans, il est toujours partant pour parler de politique et a même fait l’amitié aux organisateurs du premier Festival du film politique de Porto-Vecchio d’être membre du jury. Rencontre avec un homme alerte qui, avec ses yeux bleus vifs et son sweat-shirt, a plus de swag* que toute la classe politique réunie.

Pour le présenter, on dit seulement « Edmond »
Jeudi soir, lors de l’ouverture du premier Festival du film politique de Porto-Vecchio, son organisateur Karl Zéro n’a pas tari d’éloges sur Edmond Simeoni. Il faut dire que c’est un beau cadeau de pouvoir compter dans ce premier jury cette figure emblématique du nationalisme corse. La soirée d’ouverture du festival lui a d’ailleurs été consacrée : la projection du documentaire « Edmond Simeoni : L’esprit militant », de Pierre-Antoine Beretti, a rempli la salle des congrès du centre culturel.

Rencontre après la projection du film « Après la Guerre »
C’est le lendemain, à la sortie de la projection du film « Après la guerre », de l’italienne Annarita Zambrano, que nous rencontrons Edmond Simeoni. Ca tombe bien : dans ce film, on suit la fuite de Marco, un ex-militant d’extrême gauche italien condamné dans les années 1980 pour l’assassinat d’un juge. Réfugié en France à la faveur d’une décision de François Mitterrand, il perd sa protection en 2002 et redevient un ex-terroriste recherché par la police italienne. Un film sensible et un sujet délicat qui ne sera pas sans nourrir quelques réflexions chez Edmond Simeoni.

Ce film évoque un contexte et une époque particulière, mais vous a-t-il touché par rapport à ce que vous avez vécu ?
Ce sont des choses que politiquement j’ai connu. Étant très engagé, j’ai toujours suivi ce qui se passait en Italie notamment avec les Brigades rouges. Le film est de qualité et c’est une histoire extrêmement plausible qui montre les déchirements d’une famille : une mère qui se mure dans le mutisme, un homme ambitieux capable de renoncer par souci de l’intérêt général, sa femme déchirée puisque son frère est recherché… et un autre frère qui était engagé aussi mais qui n’a pas voulu franchir certaines étapes.

Quand on milite pour une cause, qu’on s’engage corps et âme dans une lutte, est-ce qu’on pense aux conséquences que ça peut avoir pour les gens qu’on aime, les proches ? Ou est-ce que la conviction est plus forte que tout ?
Il y a des moments où ne pense pas du tout à ça, surtout quand on est jeune et qu’on a la passion. Puis les choses s’enchaînent et on avance sans s’en préoccuper. Pour ma part, je savais que ma femme, qui était dentiste, et mes enfants étaient assurés de pouvoir vivre sans moi.

La passion l’emporte alors sur le calcul
Mais ça commence à vous interpeller quand ça devient beaucoup plus sérieux. Par exemple, quand nous avons subi des dizaines d’attentats de groupes terroristes, nous avons eu des problèmes de protection des familles. Il faut dormir avec des précautions, sans arrêt changer d’endroit, penser aux enfants, faire très attention. Les menaces téléphoniques et par lettres sont monnaie courante… « On sait où tu habites, on va venir couper les enfants en morceaux »… C’est très très difficile.

Ce sont des vies de tourment, de souffrance
J’ai toujours pensé aux enfants et surtout à ma femme car elle était toujours en première ligne et elle a toujours fait face. A mesure que l’on prend de l’âge, on se met à la place de l’autre et on comprend toutes les souffrances et les inquiétudes, l’anxiété : à chaque instant, on ne sait pas si le type va revenir ou pas, à quel moment on va l’arrêter… Ce sont des vies de tourment, de souffrance. Il ne faut pas croire que la passion est telle qu’elle occulte tout.

Le film pose aussi la question du recours à la violence pour défendre une cause. Dans une scène, la fille de l’homme qui a assassiné le juge lui demande ce qu’est devenu le petit garçon de 8 ans qui rentrait de l’école avec son père quand celui-ci a été tué. Ce sont des questions qu’on doit se poser quand on milite ?
Même dans les moments de passion, il ne m’est jamais venu à l’idée de faire du terrorisme aveugle. Je suis médecin, donc du côté de prévenir et guérir, mais j’ai de toute façon toujours eu un tempérament pacifique et une aversion profonde pour la violence. J’aime les chantiers qui sortent de terre, les maisons qu’on construit, les relations sociales. Je n’aime pas les murs détruits. Ça me semble irrationnel de tuer, il y a une forme d’autisme et de folie là-dedans. Bien sûr, le genre de questions que l’on entend dans le film, ce sont des questions qui vous accompagnent partout.

J’ai des questions qui vont ressortir puisque j’approche de la fin de ma vie
Mais j’ai toujours eu le souci de ne pas faire couler le sang. Je n’y suis pas arrivé à Aleria et je le déplore. Mon premier souci a toujours été d’éviter que tout le monde chez nous ne s’en aille dans la violence. J’ai toujours évité que ça dégénère dans les manifestations, j’ai désamorcé des choses, j’ai dissuadé des gens… Quand nous avons été victimes d’attentats, j’ai dit aux gens qui voulaient se venger par les armes que s’ils le faisaient, je ne les dénoncerai pas mais je dirai qu’en pensant servir la Corse, ils la ruinent car ils mettent le doigt dans l’engrenage où on veut les amener.

Vous vous dites inquiet pour le monde, toujours en proie à la violence. Et pour la Corse ?
Ça peut sembler paradoxal, mais je suis très inquiet pour la Corse. A mon avis, l’État pousse aujourd’hui à la constitution de ce qu’ils appellent un « front républicain », qui consiste à rassembler tout le monde sur une donnée simple : si vous ne votez pas pour nous mais pour Simeoni, vous votez pour l’indépendance et contre la France. Ils cherchent l’effet maximaliste de rupture.

Or l’autonomie est une forme d’appartenance, pas de rupture
Mais ce qui m’inquiète, ce n’est pas l’opposition politique, c’est que ce front républicain trouve une certaine écoute du côté des services de l’État et j’ai peur qu’on ne glisse dans l’engrenage qui existait il y a quelques années. Ce qui a aggravé la situation en Corse, c’est que l’État n’a pas été impartial. Il était juge et partie, et du mauvais côté : il a tordu le cou à la loi pour nous combattre, même quand on combattait légalement. Je l’avais dit à François Hollande : Si vous espérez que ça s’arrête, alors qu’il y a eu 11000 attentats, des dizaines d’années de prison distribuées, des centaines de morts, des décennies de lutte… Quelques réformes, un peu d’argent et ils croient que ça va se tasser.

La seule solution est de se mettre autour d’une table avec des gens responsables
Qui ne veulent pas rompre avec la France, qui savent qu’elle a des intérêts légitimes à préserver qui seront préservés, et que nous avons simplement des droits qui découlent de l’Europe, de l’identité, de l’aménagement du territoire…

Pourquoi avoir accepté d’être membre du jury de ce premier Festival du film politique ?
Faire en Corse un festival du film politique, je pense que ça peut contribuer à éclairer la politique, le dessous des cartes, les arcanes, la réalité. Si vous avez de bons réalisateurs, dans un pays de liberté comme la France, le cinéma est une arme terrible. Je pense que c’est une forme de contribution à la démocratie et au débat public.

*Le swag est une forme de « coolitude » qui mêle le look, l’attitude, la classe naturelle… Exemple : Barack Obama a le swag, alors que Jean Lassalle beaucoup moins.

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Facebook – Edmond Simeoni
Interview réalisée par Audrey Chauvet à l’occasion du festival du film politique de Porto-Vecchio
Images – BD – Aléria 1975