Le Corse de São Paulo
Eric Battistelli est un Corse aux multiples vies. Installé au Brésil depuis plusieurs années, il garde un lien étroit avec la Corse, celle île où il a ses attaches, son histoire et ses amis. Ce photographe de talent vie au rythme de ses rencontres et de ses projets. Passionné de musique, il se fait connaitre aujourd’hui pour ses photos qui connaissent un grand succès sur les réseaux sociaux. Citoyen du monde et engagé dans le protection de la nature sauvage, qui l’entoure depuis son plus jeune âge, il participe à Ecotown un projet qui a pour mission de protéger des sites naturels en méditerranée dont…la Girolata. Rencontre atypique avec le Corse de São Paulo sur Pari(s) sur la Corse.
Une 1ère vie autour de la musique.
J’ai eu des multiples vies. Après des études menées à Paris j’ai décidé de faire de la musique une passion. J’ai joué dans de nombreux groupes, fais des passages à l’Olympia avec les Rita Mistsouko, Indochine et aussi des tournées avec mes amis de Téléphone. Louis Bertignac est resté l’un de mes plus vieux amis, c’est un amoureux de la Corse comme d’ailleurs Jean Louis Aubert que j’ai croisé à Nonza, ou encore Henri Padovani, le «Corse», fondateur de Police.
En 1986 je participe à un projet à la demande du maire de Paris.
A la demande du Maire de Paris de l’époque et avec Ann José Arlot, figure de la promotion de l’architecture, j’ai participé à la création du Pavillon de l’Arsenal. Ce fut à ma connaissance, le premier lieu gratuit pour tous permettant de mieux comprendre la ville. Commissaire d’exposition, directeur de la communication, rédacteur en chef de revue, j’ai eu la chance à cette occasion de pouvoir faire le tour du monde afin d’y présenter les réalisations urbaines et architecturales de Paris. J’y ai passé 15 ans inoubliables.
As-tu travaillé en Corse ?
Oui durant deux ans. J’ai lancé un restaurant galerie à Porticcio, une expérience intéressante et mon seul vrai retour en Corse.
D’autres activités ?
J’ai collaboré à la structure «Ateliers Villes», destinée à sensibiliser les enfants à la culture urbaine à Paris et à Marseille, une autre expérience humaine très forte. En 2009, je participe avec sa fondatrice, Laurence Guenoun, à la création du magazine photographique «Platform mag » et travaille à ses côtés comme photographe.
La Corse c’est…
Quand je pense à la Corse, je pense à Albert Camus, à Jean-Noël Pancrazi, très grand écrivain, à cette lumière unique de la Méditerranée, c’est un ressenti sensuel. Les sens, tous les sens. Mes premiers souvenirs sont olfactifs, ces merveilleuses fragrances quand j’arrivais petit avec mon frère Olivier, figues, fleurs de la St Jean, fenouil. Le soleil et cette lumière unique qui vient caresser votre peau, l’adorer comme l’écrit Etienne Daho, sur la plage de Capo di Feno au soleil couchant.
Le temps de l’insouciance, des rêves.
La Corse, c’est aussi des souvenirs de village, de cabanes dans le maquis, de bains dans les bassins du jardin de ma famille, tous les cousins réunis, des bonheurs simples, le retour le soir à la maison pour diner avec les grands parents de beignets, soupes, cabris. Le temps de l’insouciance, des rêves.
La fabuleuse diversité de mon île me touche.
Mon père, Antoine Battistelli ou « Nono » comme beaucoup de corses, est certain que notre village, Valle di Mezzana, est le plus beau. J’y suis attaché aussi mais je me dois de dire qu’il y en a de plus beaux ou tout du moins plus protégés. Dès l’adolescence j’ai décidé de parcourir la Corse de long en large, c’est la fabuleuse diversité de mon île qui me touche, des plages de l’extrême-sud en passant par les massifs montagneux, le Cap, la Castagniccia, la Balagne. Le Cap Corse me fascine, Erbalunga notamment, j’y avais des attaches, ma grande tante s’occupait du couvent aujourd’hui abandonné.
La Corse est unique.
Cette beauté aride sauvage est parfois violente, tellurique. La Corse représente beaucoup pour moi par son unicité. J’ai eu la chance de faire le tour du monde, de vivre ou de passer de longs moments dans différents pays. La Corse est unique en cela qu’elle déclenche un sentiment proche du sentiment amoureux, c’est très fort, je ne l’ai jamais ressenti ailleurs, une immense joie d’y revenir et une toute aussi grande tristesse de la quitter.
Quelles sont aujourd’hui tes activités ?
Au delà de mon travail de photographe et au sein d’Ecotown, je réalise aussi des websites, le graphisme de livres, de plaquettes et réalise des meubles déco avec ma femme à base de récupération de matériaux ici au Brésil. Nous souhaitons développer cette activité ici et pourquoi pas en Corse un jour, c’est l’un de nos rêves.
Comment es-tu arrivé à Sao Paulo ?
Par amour, j’y ai rejoins la femme de ma vie, qui y vivait depuis plus de quinze ans. Je connaissais un peu le Brésil, lors de voyages liés à mes activités, mais je vous avoue que je n’avais jamais pensé m’y installer.
Ressens-tu des points communs entre la Corse et le Brésil ?
A part la lumière, la chaleur permanente, certains paysages, les plages et côtes essentiellement, non. Il y manque terriblement les fragrances de notre île, malgré une végétation luxuriante. Par contre la « saudade », qui pourrait correspondre à la nostalgie Corse est omniprésente ici.
Il y a-t-il une communauté Corse au Brésil ?
L’immigration est avant tout Italienne ici, mais je sais que de nombreux corses y sont installés, beaucoup moins que dans le reste de l’Amérique du Sud notamment le Venezuela, pays des cap corsins, des « Américains ». J’ai récemment découvert un observatoire Jean Nicolini en pleine montagne, étonnant.
Il existe par contre des actions menées par des corses au Brésil.
L’association AFC-Umani, présidée par mon ami Jean François Bernardini aide Xavier Plassat, frère dominicain, coordinateur de la campagne contre le travail esclave au Brésil. Il est triste de constater que ce fléau existe encore aujourd’hui ici.
De la Corse qu’est-ce qui te manque le plus ?
Tout ! Mes amis, mes cousins, l’humour corse, la lumière unique, la beauté des sites, la mer et cette différence sur laquelle il est difficile de mettre de mots. Et la musique dont celle de mon « petit frère », Lionel Giacomini.
Y retournes-tu ?
Hélas pas très souvent, ça me manque énormément, je me promets d’y aller avant un an, j’aimerais y mener un grand reportage photographique, proche de celui de Raymond Depardon dans le livre qu’il a réalisé avec des textes de Jean-Noël Pancrazi. J’aimerais m’y installer et rassembler ma famille, en paix, chez moi.
Comment est-venue ta passion pour la photographie ?
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai déjà vécu plusieurs vies. Parallèlement à mes voyages à mon quotidien, j’ai toujours pris des photos, argentiques puis numériques. Elles sont pour moi, une manière de capter l’émotion, un instant de vie, d’humanité, puis de les transmettre. J’ai beaucoup appris avec un ami photographe Corse de San Nicolao, installé à Paris, Thierry Langro.
Sur quels sujets travailles-tu à Sao Paulo ?
Je shoote beaucoup au hasard de rencontres, je travaille dans les quartiers plus défavorisés où je compte plus d’amis que dans les clubs pour nouveaux riches fermés, type Spérone. Il existe trop de clichés dans les deux sens du terme des favelas, je préfère aujourd’hui mener plusieurs projets, sur cette classe moyenne issue de l’immigration européenne. Je voudrais également pouvoir aller en Amazonie assez vite et travailler avec des amis psychiatres sur les cas des patients qu’ils traitent dans les Bangu, ces terribles prisons de sécurité.
Il faut se faire une place ici.
Je ne travaille pas en agence, il faut se faire une place ici, j’espère vite pouvoir mettre en vente des photos. Elles sont visibles sur mon site, sur Flickr et en attendant une exposition au Liban, peut être, elle sera bientôt en vente, je l’espère sur Yellowcorner.
Je prépare trois livres qui paraitront au printemps.
Le premier sur le Cirque Romanes à Paris, un sublime lieu de liberté et de tolérance, Délia Romanes chante d’ailleurs sur le dernier album des I Muvrini. Le second sur la Capoeira dans un quartier pauvre proche de chez moi, cette danse aux confins des arts martiaux comme issue de « secours » pour les plus jeunes, il y a énormément de problèmes de drogue ici. Le dernier me tient à cœur, il s’agit d’un regard croisé avec une jeune femme peintre de ma famille, Aude Pilet. A chacun de ses tableaux correspond une photo et texte que j’écris, une très belle expérience.
Comment définis-tu la beauté et la sensualité brésilienne ?
Une femme, ma femme… Viviane, bien qu’elle soit plus française que brésilienne avec qui Je mène un travail muséal sur les sens, les corps, la lumière. Je tiens à la remercier ici pour son aide précieuse et sa patience. La sensualité, c’est la vie, redonnons du sens, des sens en ces temps troublés. Pour moi la sensualité brésilienne est partout, notamment dans les quartiers les plus pauvres, loin des femmes refaites, qui sont nombreuses ici et de la culture du corps.
Elles portent en elles la lumière, une sensualité « terrienne » forte.
Leur beauté vient aussi de cet extraordinaire mélange de couleurs, de corps formés par des travaux pénibles tant pour les femmes que pour les hommes, de ces peaux marquées par le lourd soleil. Leurs sourires sont généreux et leurs allures sont importantes, une « élégance rare ».
Que penses-tu des JO à venir au Brésil ?
Concernant les JO comme la Coupe du monde, il me semble que le pouvoir n’a pas su utiliser ces manifestations pour créer de nouvelles infrastructures vitales pour le pays, ils restent des stades vides. Beaucoup de brésiliens pensent que ces manifestations n’étaient pas la priorité. Je pense que le Brésil traverse une période extrêmement difficile. La crise y est forte, les taux d’échange ont chuté et les taxes pour le pays et pour l’importation ont terriblement augmenté en quelques années, la corruption est omniprésente. L’amplitude entre la nouvelle classe moyenne dites « haute » et les plus défavorisés est très forte.
Le coût de la vie est égal à ceux de Paris ou Ajaccio.
Le pouvoir en place ne cesse d’augmenter les taxes, les récentes grandes manifestations à Sao Paulo et dans le pays, violemment réprimées, portaient sur l’augmentation du prix des transports. Il faut savoir que le coût de la vie est égal à ceux de Paris ou d’Ajaccio avec des salaires bien moindres et que près de la moitié de la population vit dans l’État de Sao Paulo.
Quelle est la photo dont tu es le plus fier ?
Deux images : Une photo prise par ma fille ainée Margaux Battistelli, en Afrique, j’aime, elle a un œil, un regard, un vrai talent et une photo de sa sœur Léa Battistelli.
Quelle est ton action au sein d’Ecotown ?
Ecotwon a été créée par une amie le Dr Rima Tarabay, docteur en Géographie et développement durable, activiste, femme politique libanaise. Elle a pour vocation de protéger un certain nombre de sites du pourtour méditerranéen. Elle est formée de spécialistes de ces questions et mène à bien des projets concrets sur des sites ciblés en méditerranée. Je m’y occupe de la communication, de la gestion de nos sites et bien sur de l’ «image».
Nous menons un projet en Corse à Girolata.
Récemment Rima Tarabay a réussi à réhabiliter une école au Sud Liban, à Naqoura à la frontière Israélienne. Le pari était de taille, l’école est ouverte aujourd’hui, avec une alimentation solaire. Le village a aussi profité de nos études, une Eco-Agriculture y a vu le jour et cela dans une zone encore marquée par les combats et les traces de la guerre. Nous menons actuellement un projet en Corse, à Girolata, notamment sur l’augmentation des déchets durant l’été et leur traitement.
La Corse est belle et fragile. Il faut la préserver.
Nous pensons que l’économie future de la Corse passera forcément par une autonomie énergétique solaire et éolienne, par une gestion des déchets approprié, regardez ce qui se passe au Liban aujourd’hui, ainsi que par la protection de ses villes, villages et sites mais aussi de son patrimoine marin. La Corse est l’une des plus belles iles de méditerranée par sa diversité, mais ses fonds marins sont déjà pour une partie en péril. Je salue ici les nouveaux dirigeants corses, que je félicite et leur propose de les rencontrer afin de leur proposer une expertise globale.
La Corse dispose de vrais talents.
Je tenais ici à saluer votre démarche que je trouve très stimulante et qui permets de mettre en lumière la force de création en Corse. J’ai toujours pensé qu’il existait dans l’île des entrepreneurs et des créateurs de grand talent. Quand on voit la qualité des produits, leur diversité liée à notre culture, je me dis que l’espoir est de mise. Il existe un vrai vivier de créateurs, quand je vois la qualité du design, du graphisme, des objets, jusqu’au logo, des images. Je pense aussi à mes deux filles qui me manquent, Léa et Margaux Battistelli, qui fait des études de cinéma et mon neveu Louis Battistelli, je ne serais pas surpris que de cette génération soient issus de jeunes artistes et créateurs Corses.
Conseilles-tu aux jeunes corses de prendre la direction du Brésil ?
Difficile question… Compte tenu de l’état actuel du Brésil, promulgué « eldorado » par certains médias, je n’en suis pas sur. Il faut d’abord savoir que peu de gens parlent Anglais, la connaissance de la langue portugaise est primordiale pour quelqu’un qui veut vivre et s’installer ici. Il existe des « niches, comme dans d’autres pays, mais je pense que c’est plus à des interactions entre la Corse et le Brésil qu’il faut réfléchir ou l’exportation de savoirs faire propres à l’île.
En 3 mots, la vie au Brésil ?
Soleil, amour, saudade.
Que conseilles-tu à un Corse pour trouver les bons contacts au Brésil ?
Qu’il me joigne, je suis toujours présent pour aider des Corses.
En savoir plus
Twitter : @EricBattistelli
Flickr : www.flickr.com/photos/eric-battistelli
Site : ecotowns.org
Site : ericbattistelli.com – disponible en mars