la Corse qui bouge et entreprend

Marlène Schiappa

Si les françaises votent pour la première fois à l’occasion des élections municipales en 1945, l’histoire retient aussi que Pascal Paoli, lors de la rédaction de la Constitution Corse, accordait déjà le droit à l’expression civique aux femmes corses, près de deux siècles auparavant. Car le rôle de la femme a toujours était primordial en Corse. « Il y a des femmes corses au pluriel car on ne peut pas définir toutes les femmes en un mot » aime affirmer Marlène Schiappa. Cette jeune maman de 32 ans, aux origines corses, vit au Mans. Elle y mène une vie bien remplie entre engagements politiques, écriture de livres et animation de l’association Maman travaille. Son dernier roman « Pas plus que 4 heures de sommeil » va être adapté au cinéma par Mélissa Theuriau. Dans une société où l’équilibre vie pro / vie perso est de plus en plus difficile à trouver, Marlène nous raconte son parcours et son engagement pour aider les femmes à être actives et heureuses.

marlene schiappaPouvez-vous vous présenter ?
Marlène, 32 ans, 2 enfants, élue, auteur de livres, blogueuse conférencière et fondatrice de « Maman travaille ». Et Corse.

La Corse c’est…
J’ai passé tous les étés en Corse jusqu’à l’âge de 17 ans. A la fois dans le hameau de mes arrière-grands-parents, dans la commune de Sotta et à Ajaccio chez mes grands-parents. Plus ponctuellement autour de Vescovato, Venzolasca et dans la Castagniccia d’où venait la famille de mon grand-père. Après le bac je suis partie vivre quelques mois à Bastia. J’ai fait le tour de la Corse plusieurs fois et j’ai découvert les calanques de Piana, la région de Corte et de la Restonica, que j’adore. La Corse c’est plus qu’un lieu ; c’est quelque chose qui nous habite où qu’on vit. C’est d’ailleurs pour ça que je trouve superbe cette idée de Pari(s) sur la Corse !

Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai travaillé dans la pub – d’ailleurs un de mes tous premiers jobs dans la pub, le patron m’a engagée parce que j’étais Corse. A la naissance de ma fille, j’ai créé une entreprise, un site et le blog Maman travaille. Je suis passée côté presse et j’ai travaillé pour différents sites et magazines, dont les pureplayers Yahoo et MSN. Ensuite, j’ai commencé à faire des conférences autour des événements « Maman travaille » que j’organisais sur la conciliation vie pro, vie familiale et sur l’égalité parentale et professionnelle. J’ai aussi publié plusieurs livres pratiques comme « Les 200 astuces de Maman travaille », « J’arrête de m’épuiser » et un roman « Pas plus de 4 heures de sommeil », chez Stock et Le Livre de Poche.

200 astucesJ’avais envie de parler de ce que je connais, de ce que je vis
J’avais envie de parler de ce que je connais, vis, ce sur quoi je travaille mais différemment avec un angle fiction. Ça permet plus de libertés. Dans « Pas plus de 4 heures de sommeil », deux amies Emilie et Morgane se sont perdues de vue depuis dix ans et se retrouvent sur Facebook par hasard. L’une est mère au foyer à la campagne, l’autre working girl parisienne hyperactive. Mais finalement on comprend vite que les choses ne sont pas aussi clichées et aussi simples qu’on voudrait le faire croire sur les réseaux sociaux. C’est une histoire de conciliation vie pro vie familiale mais surtout d’amitié, de solidarité féminine, qui parle aussi de la nostalgie de grandir, du couple et des stéréotypes de genre.

romanIl va être adapté au cinéma par Mélissa Theuriau ? 
C’est extraordinaire et inespéré mais je garde bien en tête que c’est son film et pas le mien. Les auteurs qui n’arrivent pas à décrocher de leur oeuvre, ça me dépasse. C’est l’équipe de Mélissa qui tournera le film et c’est très bien parce qu’elle sait parfaitement s’entourer. D’ailleurs je ne sais pas si l’héroïne restera corse. Car des changements sont prévus et nous n’avons pas encore abordé cette question. Et encore une fois peu importe car ce n’est pas l’histoire de ma vie, c’est une histoire inventée. Si Mélissa Theuriau a d’autres idées pour le film c’est génial ! Et d’ailleurs elle en a plein qui me font souvent mourrir de rire ! Elle a un vrai talent comique et de conteuse pour raconter les histoires et pour les interpréter.

J’ai beaucoup d’admiration pour Mélissa Theuriau
J’ai beaucoup d’admiration pour Mélissa Theuriau comme femme et comme professionnelle. Elle est très drôle, volontaire, déterminée, je suis sûre qu’elle arrivera à monter un super film. C’est quelqu’un qui est à l’écoute et a un enthousiasme communicatif. J’ai hate de voir le résultat final.melissa-theuriau_3

Vous inspirez-vous de la Corse pour écrire vos livres ?
Oui, la Corse est une inspiration pour tout. La famille de mon père vient de l’Alta Rocca, la Corse c’est aussi la région de la Colomba de Mérimée et de légendes de magie, de sorcellerie, d’histoires de clans. Quand on est enfant, c’est formidable de grandir avec ces histoires. D’ailleurs il y a peu de temps, j’ai dit à ma fille que nous étions les descendantes de Zinevra sorcière de Corse et qu’elle pouvait jeter des sorts si elle voulait, ça l’a beaucoup amusée ! Et puis il y a mille proverbes Corses que l’on se répète, et des expressions Corses et ajacciennes qui restent dans notre langage, « Mi comme je suis goffu ce matin ! »

Raconter ce que c’est d’être une Corse à Paris
Dans mon roman « Pas plus de 4 heures de sommeil », un des personnages est Corse. Ce n’est pas moi, ça n’a rien d’autobiographique, mais je trouvais amusant de raconter ce que c’est d’être une Corse à Paris, par quelques touches d’anecdotes. Les clichés que nourrissent les continentaux sur les corses et les blagues sur les bombes ou les polyphonies qu’ils pensent tous être les premiers à faire et qui sont lassantes.

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Quels sont les préjugés qui vous énervent le plus ?
Presque tous. Ce qui m’énerve, c’est la vision d’une Corse binaire : ou les attentats, le terrorisme, la mafia… bref, une vision violente. Ou une vision touristique, à base de fromages et de plages. Dans les deux cas c’est réducteur ! Pour moi la Corse c’est autre chose que ça. D’ailleurs dans un livre, le Maire du Mans dit que l’état d’esprit Corse tiraille en permanence entre l’attirance morbide et la joie de vivre. Je ne me souviens plus comment c’est dit exactement, mais j’ai trouvé ça assez vrai. On aime aussi la maccagna et parfois les continentaux ne comprennent pas. Après évidemment il y a des idées vérifiées. Ma fille a lu L’Enquête Corse récemment et m’a dit que ça lui rappelait des choses. Nous sommes fiers et susceptibles c’est vrai, et la devise « Souvent conquise jamais soumise » me convient parfaitement !

453492-vigneronnes-corsesComment définir la femme corse d’hier et celle d’aujourd’hui ?
Une femme de caractère. Il y a un proverbe un peu con mais que j’adore qui dit « Ne draguer pas les Ajacciennes, même nous on n’y arrive pas. » Pour moi la femme corse c’est ma tante Martine que j’adore et qui était notre idole quand nous étions petites. Mais bien sûr il y a des femmes Corses au pluriel et on ne peut pas définir toutes les femmes en un mot. Quant à savoir si nous avons évolué, je ne sais pas. Mes grands-mères et arrières grands mères Corses ont toujours travaillé et mené leur monde à la baguette il me semble.

Quel est l’objectif de « Maman Travaille » dont vous êtes la présidente ?
Nous avons été auditionnées à l’assemblée nationale, dans des mairies, les institutions et nous préparons un grand événement pour octobre ou novembre. Notre but est d’agir comme un lobby, souvent discrètement, auprès d’employeurs et d’institutions pour faire avancer les choses ! Le plus gros frein reste lié aux stéréotypes de genre, 98% des congés parentaux sont pris par les mères, qui assument 80% des tâches ménagères… les pères ont encore une grande place à prendre et ça n’est pas toujours facilité.

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marlène engagementPourquoi êtes-vous engagée politiquement ? 
C’est viscéral, je crois qu’on l’a ou on ne l’a pas – sans jugement de valeur d’ailleurs. Créer une association ou un blog et en faire un lobby qui soit consulté par de grandes entreprises et des instutitions, c’est déjà de la politique. Au Mans, j’ai rencontré l’équipe du Sénateur Maire Jean-Claude Boulard et nous avons tout de suite eu un très bon contact qui m’a donné envie de m’engager avec eux, même si je n’appartiens à aucun parti politique.

Une éducation avec un attachement pour des « valeurs » 
J’ai eu une éducation très politisée puisque mon père a toujours été « engagé » comme on dit, même si je pense qu’il n’aimerait peut-être pas ce mot, disons un militant. Je sais ce que c’est que de diffuser sur des marchés dans le froid, d’établir des programmes, d’organiser une grève, pour avoir grandi dedans. J’ai une grille de lecture des événements qui est forcément teintée de cette éducation avec des principes et un attachement à la lutte pour des « valeurs » même si ce mot est galvaudé, comme la défense de la loi de 1905, le féminisme, et d’autres…

nazioneUn père qui milite pour les droits des femmes
Avoir un père qui milite pour les droits des femmes, le droit à l’avortement, qui parle de grandes figures souvent ignorées du grand public comme Rosa Luxembourg est une chance pour une fille, enfin pour deux filles, si j’inclue ma soeur Carla. D’ailleurs mon père qui est historien a publié une biographie remarquable de Buonarroti et rappelle souvent que la Corse était la première à se doter d’une constitution écrite ou à donner le droit de vote aux femmes. Mon grand-père Lucien Schiappa était qu’en à lui responsable de l’UD FO en Corse. Et mon arrière-grand-mère Jeanne Serra (née Paccini) était aussi très politisée d’après mes souvenirs, on m’a racontée quelques anecdotes d’élections « à l’ancienne » qui aujourd’hui me font beaucoup sourire.

Quels sont vos projets ?
Je travaille sur un prochain livre à paraître, un essai qui théorise les sujets de Maman travaille et la difficulté pour les mères à faire carrière. Un petit livre plus « rigolo » et léger car les deux aspects sont nécessaires. E un prochain roman, sur un tout autre thème. J’ai aussi des projets dans le cadre de ma délégation à l’égalité  au Mans.

corse grandirUn jour vous voyez-vous revenir en Corse ?
Un jour, peut-être. Pour des enfants, c’est magique de grandir en passant des weekends dans le maquis, dans les bergeries, au bord de rivières… Mais j’avoue que ça me fait de la peine aussi de noter certains changements. J’ai des photos de Palombaggia dans les années 80, quand il y avait très peu de monde. Quand j’y vais et que je vois à quel point c’est rempli…ou des endroits qui étaient vierges et qui sont des parkings payants, ou pire des constructions au mépris de la loi littoral, je préfère ne pas y aller. Mais j’imagine que c’est le cas pour toute personne qui a connu un endroit et qui le voit changer.

Un repère, un port d’attache
Comme pour beaucoup de personnes originaires de Corse, pour moi c’est une sorte de repère, de port d’attache. Quand je suis partie pour y vivre quelques temps, en 2001, je n’étais pas prête à y rester longtemps. Mais c’était une autre période. Il n’y avait pas le développement d’internet. Je n’avais pas terminé ma formation, pas de métier, pas d’enfants… Ce serait différent aujourd’hui !

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Vivre en Corse c’est prendre un risque et faire un pari 
Vivre en Corse c’est prendre un risque et faire un pari. J’ai beaucoup d’admiration pour toutes ces personnes notamment dans le numérique qui font évoluer la Corse, son image et son économie en choisissant de « donner » au territoire leurs compétences, leurs idées, d’y investir. Pour l’avenir, je fais pleinement confiance à la génération des trentenaires et quadra Corses qui se bougent. De mon coté pour l’instant, je vis au Mans et je m’y plais vraiment, c’est une ville agréable, facile à vivre… et d’ailleurs les premiers à m’y avoir accueillie sont l’association des Corses du Maine ! Mais quand on est Corse, on n’est jamais seul-e il y a toujours un autre Corse quelque part  😉

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Livre : Pas plus de 4 heures de sommeil